

Yannick Agnel : interview d'un champion de natation devenu ambassadeur de l’esport
2019 M02 28
Le double champion olympique de natation de Londres 2012 est devenu le directeur sportif de l’équipe d’esport MCES. Il nous parle sans langue de bois de son nouveau métier, de sa passion et de pourquoi opposer sport et esport, "c’est être très en retard."
Fin février, Yannick Agnel nous reçoit dans un bar de l’ouest parisien pour la présentation de MCES, une nouvelle équipe d’esport française innovante. Cette structure basée à Marseille est aujourd’hui présente sur LoL, FIFA et Fortnite, tout cela après avoir commencé par ouvrir une académie pour accompagner les jeunes passionnés d’esport. L’autre particularité de MCES, c’est de traiter ses joueurs comme de vrais sportifs, avec un encadrement professionnel qui s’inspire des méthodes du sport traditionnel.
C’est là qu’intervient Yannick Agnel, le directeur sportif de l’équipe. Pour comprendre comment il est arrivé là, on a évoqué avec lui sa passion ancienne pour le jeu vidéo. Rencontre avec un champion du sport devenu un ambassadeur de l’esport.

Comment tu es arrivé aux jeux vidéo ?
Ça a commencé quand mes parents m’ont mis une manette de Mega Drive entre les mains. Après, j’ai été évidemment de la génération Pokémon qui est arrivée à la fin des années 90. Puis il y a eu la PlayStation, et la découverte un peu plus tardivement du fabuleux monde d’Internet.
Tu as joué en ligne ?
Enormément, j’étais un gros joueur de MMO. WoW pas tellement, mais j’ai beaucoup joué à Guild Wars, c’est le MMO sur lequel j’ai passé le plus de temps, avec FF14 récemment. Après, je suis plus un joueur casual que hardcore.

Et aujourd’hui, tu joues encore ?
Oui, oui, pas mal, surtout quand ma copine n’est pas là, ah ! Je fais beaucoup de LoL parce que j’y suis avec des potes, et Overwatch parce que j’aime beaucoup le jeu. Je n’ai pas lâché Apex Legends depuis la sortie, je le trouve absolument extraordinaire. À la base, les battle royale ne m’attirent pas énormément. Que ce soit Fortnite, où je n’ai jamais réussi à dézinguer un mec, ou PUBG où tu te planques en attendant la fin et où c’est un peu trop réaliste. Il y avait une place à trouver entre ces deux-là, et pour moi Apex a tapé dans le mille.
Quels jeux tu préfères regarder en esport ?
LoL est quand même pas mal, parce que c’est très structuré et que les matchs sont intéressants. Pour le spectacle, je dirais CS : GO. Quand tu regardes des types comme KennyS mettre des headshots, c’est quand même assez extraordinaire, parce que toi tu vois les mecs derrière le mur, mais pas lui ! J’aimerais bien avoir aussi une belle scène d’Overwatch, qui se structure. Le problème, c’est que c’est encore un peu pénible à regarder.

C’est quoi le concept de MCES ?
L’idée, c’était de créer une académie pour les jeunes et les moins jeunes, et que le prolongement de cette académie basée sur les clubs de sport classiques soit une équipe professionnelle qui va tirer le meilleur parti de l’expertise sportive et esportive. En fait, on essaie de combiner les compétences de sportifs et de esportifs de haut niveau, de gens qui sont sur la scène depuis longtemps. On essaye de rendre les joueurs performants en leur construisant un environnement sain et équilibré au possible, en testant leurs performances et en cherchant à les améliorer au quotidien par divers moyens. Notre essence, elle est là. Voilà, on essaye de jouer sur ce système un peu différenciant, système qui existe déjà chez Astralis par exemple. C’est une sorte de modèle qui inspire notre fonctionnement. En plus, ils valident notre idée en montrant qu’elle fonctionne.
C’est quoi ton rôle en tant que directeur sportif pour MCES ?
Je m’occupe des 10 à 20% de la performance qui restent une fois que les joueurs se sont bien entraînés et qu’ils ont été coachés au sein du jeu. Je n’ai pas d’expertise au sein du jeu en lui-même, mais j’ai une expertise sur tout le reste, c’est-à-dire l’environnement, le lieu de vie, les interactions, la synergie entre les joueurs, la préparation physique et psychologique, le suivi médical quotidien et à long terme, le team building, etc.

Pour toi, le talent et le travail représentent quel pourcentage chez un joueur pro ?
On me posait déjà la question quand j’étais nageur de haut niveau. Il n’y a pas de pourcentage. La nature est injuste par essence, et le sport et l’esport de haut niveau sont injustes aussi, il y a des gens qui sont plus talentueux que d’autres. Cependant, le talent sans travail ne sert à rien. Si nos joueurs ne s’entraînent pas des heures au quotidien, leur talent ne leur servira à rien. C’est le talent mis au service du travail et du collectif qui va finalement aider à être performant.
Quand tu regardes une finale de compétition d’esport, tu ressens le même frisson que devant une finale olympique de natation ?
Oui. Mais après c’est toujours pareil, si tu prends la course la moins palpitante de l’histoire en natation et la partie la plus palpitante de l’histoire de LoL, je vais te dire que j’ai beaucoup plus kiffé cette finale de LoL. Et l’inverse est possible aussi. Je ne fais pas de différence entre le sport et l’esport et je le dis volontairement, parce que se poser la question de cette différence, c’est déjà être en retard sur le débat. Et ce débat sémantique est stérile.

Le jeu vidéo est de plus en plus pratiqué, mais pourtant toujours très dénigré. Comment des sportifs traditionnels comme toi ou Christophe Lemaitre pouvez changer son image ?
En faisant ce qu’on est en train de faire. Simplement, en prêchant la bonne parole et en évangélisant les populations qui ne sont pas forcément averties. En expliquant justement que c’est en structurant, en créant des académies, des clubs et des équipes professionnelles, que les parents vont être plus sereins. Après, il y a des générations trop anciennes qui ne sont absolument pas connectées à ce genre de problématiques, on ne peut pas attendre d’elles qu’elles les comprennent demain, même en leur expliquant. Et je dis ça de façon très positive, il n’y a rien de péjoratif dans ce que je dis, c’est juste un état de fait.
L’aspect psychologique est aussi important que dans le sport traditionnel. Comment tu prépares les joueurs à digérer un échec ?
C’est une notion qui est très complexe, surtout dans le milieu du jeu vidéo, notamment parce que quand les joueurs s’entraînent, on n’est pas dans le sport traditionnel où tu peux avoir des déconvenues et être dans un mauvais un jour. Quand il s’agit d’esport, à la fin de la partie, il y a écrit victoire ou défaite sur l’écran, c’est binaire. Donc ça veut dire qu’ils doivent être déjà préparés, et tout ça rejoint l’environnement et l’hygiène de vie. Si on est athlétisé, plus équilibré dans sa tête et dans son corps, on sera plus à même d’accepter la défaite et d’être performant sur ce qu’on va t’apprendre au quotidien.
Les joueurs d’esport peuvent aussi être assez toxiques. Est-ce que tu interviens aussi sur l’état d’esprit des joueurs pour inculquer les valeurs olympiques ?
C’est un vrai sujet et une vraie problématique. Ça a été difficile d’inculquer ces valeurs-là dans ce milieu, ça l’est un peu moins aujourd’hui. Simplement parce que quand les joueurs se faisaient réprimander, ils disaient « ok, je me casse » parce qu’il n’y a pas de structuration. Donc aujourd’hui, on essaye de gérer ça en bonne et due forme avec des contrats et une charte déontologique, et on n’hésitera pas à virer quelqu’un qui a commis une faute grave selon nous, et qui ne pourra plus faire partie de MCES et de sa philosophie. Il y a des règles auxquelles on ne déroge pas.
Tu as déclaré récemment que tu n’étais pas favorable pour l’instant à voir l’esport aux JO. Pourquoi ?
Ce débat est positif, il permet au CIO de se poser la problématique du rajeunissement des téléspectateurs, et ça permet à l’esport de se demander comment se structurer de façon plus mature et professionnelle. Je pense que ces deux éléments viendront à point à qui sait attendre. Aujourd’hui, il y a plusieurs problématiques dans cette histoire. Déjà, un jeu appartient à quelqu’un, contrairement à la natation ou à l’athlétisme. Il y a un éditeur, un développeur, des distributeurs… Donc, quel jeu on choisit, et sur quelle base ? Ensuite, il y a une charte déontologique du CIO. Malheureusement et même si j’adore ce jeu, ça m’étonnerait que CS : GO fasse partie des jeux sélectionnés pour aller aux JO.
« Apex est sorti, mais est-ce que dans quatre ans ou dix ans il sera toujours là ? »
Donc qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’on met uniquement des simulations sportives aux JO ?
J’adore FIFA, j’y joue tout le temps, on a des joueurs qui sont extraordinaires dessus, mais je ne suis pas sûr que ne mettre que ça ait beaucoup de sens. Il y a aussi un turnover très important des jeux. Là, Apex est sorti, mais est-ce que dans quatre ans ou dix ans il sera toujours là ? Si un sport est aux JO, c’est pour s'inscrire dans le temps. Est-ce que le CIO engage des développeurs pour faire un jeu suffisamment attrayant en prenant les meilleurs éléments pour créer une plateforme pérenne sur laquelle les gens s’entraînent ? Je ne sais pas. Chacun a un avis très intéressant à écouter, et je pense qu’il faut continuer d’en discuter. C’est comme ça qu’on fera avancer les choses.